Le mot « multimédia » connaît une situation ambiguë. D’un côté, son succès est indéniable. Au nombre de réponses dans les plus grands moteurs de recherche, il dépasse les 400 millions de références. Du letton au turc, du portugais au coréen, il jouit du rare privilège d’être présent dans toutes les langues. « Multimédia » paie son succès aussi cher que Faust son immortalité : ce mot universel ne veut plus rien dire. En tant qu’adjectif, le terme peut recouvrir autant la méthode utilisée que le sujet traité. Une « formation multimédia » désignera l’enseignement des techniques du Web ou de la vidéo numérique mais également n’importe quelle formation si les cours utilisent des CD-Rom, des sons ou des images. Aujourd’hui un « ordinateur multimédia » est presque un pléonasme, et quand l’expression est utilisée dans une publicité elle signifie simplement que l’on peut lire des DVD avec, ce qui a peu à voir avec le sens précédent. Une « communication multimédia », préconisée par une agence de publicité, signifie en pratique une campagne qui utilise, entre autre, le Web. Un « groupe multimédia » est une entreprise qui possède des activités dans plusieurs « médias », comme la télévision, la presse écrite ou la radio. Quant à « stratégie multimédia », il s’agit d’une expression d’autant plus répandue qu’elle peut recouvrir n’importe quoi.
Cette dispersion ne s’estompe pas quand on passe de l’adjectif au substantif. « Le » multimédia est parfois un euphémisme pour désigner les jeux vidéo, comme dans « Association des Producteurs d’œuvres Multimédia » (Apom), le syndicat professionnel des studios français de développement de jeux vidéo. Il désigne également, dans l’univers des techniques de l’information et de la communication, la cohabitation des images, des sons et des textes sur un même réseau ou sur une même machine. Il était souvent compris, à la fin des années 1990, comme une commodité pour désigner en même temps Internet et les CD-Rom. Il n’a pas le même sens pour les opérateurs de téléphone portable ou pour l’administration. On se met au multimédia, on n’oublie pas le multimédia, on est de moins en moins rétif au multimédia. On n’éprouve pas vraiment le besoin de savoir ce qu’on entend par là. D’ailleurs, le mot est concurrencé par des termes tout aussi vagues comme numérique, interactif ou cyber. C’est sans doute la rançon du succès. C’est qu’en fait deux traditions technologiques (au sens que Jacques Ellul donne au mot technologie, c’est-à-dire science de la technique) s’entremêlent depuis un quart de siècle, et se sont retrouvées dans les années 1980 autour du même mot de multimédia.