img14 Mar 2023

imgDr. Emerson Jean Baptiste

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Posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens 2017-2018

Posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens 2017-2018

La  ville  de  Montréal  a  connu  une  vague  migratoire  venant  de  partout,  notamment  des demandeurs d’asile haïtiens, dans la période 2017 à 2018. Ce phénomène n’a pas laissé indifférent les chercheurs et les essayistes. Les églises, dans ce contexte général, semblent jouer un rôle significatif dans l’établissement des demandeurs d’asile aux côtés des  institutions  publiques  et  des  organismes  communautaires.  Á  la  suite  de  ce  constat, une  équipe  de  chercheurs  au  Département  de  Sciences  des  religions  de  l’Université  du Québec à Montréal (UQAM) a été obligé de diligenter une étude sur le rôle des leaders religieux dans le processus de résilience de ces demandeurs d’asile. Mais la dynamique de terrain donne à voir que les Églises s’inscrivent aussi dans un processus d’intégration, auquel nous sommes intéressé à révéler. Autrement dit, comment les Églises ont habité, au  travers  des  pratiques  religieuses,  l’«  espace  social  »  (Clavel,  1996,  p.  85)  dans  ce contexte migratoire. Pour faire cette représentation, le contexte d’intervention des leaders religieux est mis en avant, ensuite la description des différents rapports des églises avec les demandeurs d’asile. Puis, nous esquissons une signification de ce phénomène églises et demandeurs d’asile à Montréal. Ce travail est rendu possible, grâce à 10 entrevues des leaders et 20 des demandeurs d’asile que nous avons réalisé. C’est donc par le langage que nous allons construire cette représentation sociale.

1.- Le Contexte d’intervention des leaders religieux

Il  existe  toute  une  panoplie  de  contextes  entourant  la  rencontre  des  églises  avec  les demandeurs d’asile. Les églises haïtiennes, inspirées de leur double mission spirituelle et sociale, se voient obligées d’intervenir auprès des demandeurs d’asile en vue de contribuer à leur intégration au Québec.  Il semble qu’elles n’aient pas réussi à prouver que  les leaders  religieux  avaient  un  enjeu  commun  et  une  stratégie  commune à  travers cette enquête. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont réussi à faire des activités sociales, dont les résultats témoignent, jusqu’ici, de leur utilité dans le processus d’intégration des demandeurs  d’asile.  Comment  donc  les Églises  sont-elles  amenées  à  participer  dans  ce processus? Grâce au réseau social Facebook, à la presse parlée et télévisée, à la communication “de bouche-à-oreille”, pour ne citer que cela, elles ont été touchées. Quels ont  été  les  mécanismes  d’interaction  des  églises  avec  les  demandeurs  d’asile?  Trois mécanismes ont été constatés : « interaction amicale ecclésiastique », « interaction familiale  ecclésiastique »,  et  « interaction  fortuite  ecclésiastique  ».  Nous  entendons  par interaction amicale ecclésiastique, d’une part, la relation que les demandeurs d’asile ont construite avec les églises par l’entremise de leur ami. Par interaction familiale ecclésiastique, d’autre part, les liens qui sont tissés par des demandeurs d’asile haïtiens par  le  biais  de  leur  parent.  Enfin,  par  interaction  fortuite  ecclésiastique,  le  genre  de relation qui s’est établie avec l’église là où l’on ne s’attendait pas du tout, c’est-à-dire des circonstances fortuites entraînent les demandeurs d’asile à envisager d’entrer en contact avec des églises. Les Églises, en plus, d’établir des liens religieux, construisent des liens sociaux  significatifs  dans  l’installation  de  ces  derniers.  Qu’il  soit  l’interaction  fortuite ecclésiastique, qu’il soit l’interaction familiale ecclésiastique, qu’il soit l’interaction amicale ecclésiastique, l’apport des églises est d’abord social pour les demandeurs d’asile.  Après  avoir  décrit  les  circonstances  dans  lesquelles  les  Églises  sont  entrées  en action, il importe de voir les rapports de l’Église avec les normes, les rapports de l’Église avec la culture et les rapports de l’Église avec les acteurs sociaux (demandeurs d’asile) et avec d’autres institutions.

2.- La représentation sociale des Églises dans l’espace de la ville de Montréal

Les églises, dans ce contexte migratoire, ont inventé des stratégies multiples pour venir en aide aux demandeurs d’asile haïtiens. Elles se sont multipliées les rapports conventionnels et ceux non-conventionnels pour venir à bout de leurs besoins en régulation administrative et sociale, en établissement domestique, en service de garde, en socialisation à la québécoise, sans compter leurs mutualités avec les organismes communautaires. La régulation administrative et sociale, qui constitue l’action prioritaire dans le processus d’insertion, a été abordée par les leaders religieux comme suit.

2.1.- Les Églises, régulation administrative et sociale

La régulation des demandeurs d’asile est une préoccupation majeure, et pour le pouvoir public, et pour les citoyens. On s’interroge sur la structure de l’État à pouvoir y faire face dans le délai requis par la loi pour éviter une crise d’immigration dans le pays. Évidemment,  il  y  a  un  système  social  au  Québec  qui  répond  adéquatement  à  tout  flux migratoire. Il semble toutefois que les structures administratives et surtout sociales officielles aient été un peu dépassées. C’est ainsi que les églises haïtiennes et certaines québécoises ont montré leur potentielle sociale en venant en aide aux demandeurs d’asile haïtiens. Elles ont prêté leur concours à la fois à la régulation administrative et sociale. Dans notre étude, nous avons pu retenir quelques discours des leaders religieux et ceux des demandeurs d’asile qui confirment l’agir des églises dans le processus de régulation. Cependant, nous allons nous en tenir à quelques-uns pour justifier cet apport. Que nous disent les leaders religieux?

Les leaders religieux, qui ont porté ces discours, ont leurs églises au Nord et au Sud de Montréal avec un effectif en moyenne 150 membres. Ils affirment avoir accompagné les demandeurs d’asile dans leurs démarches pour produire leur demande, en les référant des avocats pour ceux qui peuvent payer les honoraires, en les aidant à monter leur histoire, ainsi  qu’en  les orientant  vers des  organismes  communautaires  afin de  les  accompagner administrativement. En voici deux discours :

[…] ils arrivent, ils ne connaissent pas encore le pays, à qui se référer, ok, on dit, il y a tel autre pasteur, tel ami, qui est dans l’immigration; la maison x, la maison y, l’organisme, et puis, on les accompagne pour qu’ils puissent entamer la démarche pour faire la demande d’asile. Si la personne est refusée, on dit ok, il y a une autre étape. D’autres qui ont réussi avec certains avocats, qui font très bien la job, ils ont été accompagnés sur référence par d’autres. […] En fait, c’est en termes de réseautage et de soutien communicatif, informatif.  (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-24)

[…] Voici  ce  que  je  fais  quand  les  gens  m’ont  raconté  leur  histoire ou  bien qu’ils ont des alibis, parfois des gens qui n’ont pas d’argent pour payer les services d’un avocat, parfois j’étudie leur dossier avec eux pour voir s’il  y a du sens  dans  leur  dossier. C’est  comme  ça.  (Propos  d’un  pasteur  recueillis à Montréal 2019-01-07)

Sur le plan de la régulation sociale leurs actions sont variées, c’est ainsi qu’on peut les retrouver dans presque tous les segments des discours à la fois des leaders religieux et des demandeurs d’asile. Toutefois, nous retenons ici celui qui suit :

[…] Ensuite, votre enfant doit aller à l’école. On leur dit voici la structure, ce n’est plus en Haïti, parfois on court 30, 40 minutes pour amener les enfants à l’école. Ici,  votre  école est  dans  le quartier,  on  leur  montre  tout  ça.  On fait  comme  une sorte  d’intégration  pour  eux  à  360  degrés,  donc  pour  initier  l’intégration  avec leurs  enfants,  donc  tout  ça,  la  famille,  par  téléphone,  il  y  a  des gens  qui  se déplacent pour les aider. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-24)

Ainsi, la régulation administrative et sociale constitue un double mouvement : produire la demande d’asile dans les règles de l’art et appréhender le mécanisme d’intégration de la structure scolaire. Celle-ci n’empêche d’aborder un autre aspect, étant donné son importance aux activités sociales des leaders religieux, celui d’établissement domestique des demandeurs d’asile.

2.2.- Les Églises et établissement domestique

La législation sur les loyers autorise les locateurs de vérifier le niveau de crédibilité de tout locataire à honorer un contrat de bail, or les nouveaux arrivants ne sauraient en avoir, compte tenu de leur situation. Il a fallu l’intervention des églises pour pallier cet inconvénient. Elles ne se contentent pas seulement d’aider les demandeurs d’asile à avoir un logement, elles ont aussi pris le soin de leur chercher des appareils électroménagers, des meubles, des ustensiles de cuisine etc. Ce fait est relaté dans les discours des leaders religieux et ceux des demandeurs d’asile. Nous les présentons séparément. Les propos suivants sont, tous, des leaders religieux qui ont accueilli et prêté leur service aux demandeurs d’asile allant de 50 à 150 à leurs églises respectives. Ces leaders sont de confession baptiste, pentecôtiste. Pourtant, ils n’ont reçu que des gens de leurs confessions. Leur travail s’étend à tous et à toutes. Ils nous disent avoir accompagné les demandeurs personnellement quand ils doivent chercher un logement pour deux raisons majeures : se porter garant de leur crédit et éviter les abus de certains propriétaires à leur égard.

[…] Pour le logement, je crois qu’en 2017 ce sont plus de 150 personnes qu’on a aidé à  trouver de  logement.  Présentement,  ils  sont  encore  dans  leur  logement  la plupart d’entre eux, […] Depuis juin 2017, je travaille jusqu’à midi, à cette heure je rencontre les gens, on était plusieurs. On cherche sur le terrain avec eux, on ne les envoie pas, on cherche avec eux […] certains propriétaires leur demandent de vérifier leur crédit, j’ai dû trouver des endroits qui n’exigent pas ça. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)

[…] On savait que les propriétaires faisaient la surenchère avec les prix, ils montaient les prix visiblement devant tout le monde. Il fallait un accompagnement non seulement pour qu’ils puissent choisir des maisons parmi les membres qui en avaient  de  disponible,  mais  aussi  pour  éviter  que  ces  maisons  soient  surpayées. […] C’est un peu dans cette démarche que l’église s’est inscrite avec des demandeurs d’asile. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-30)

[…] Quand ils ont trouvé un logement on les visite pour voir s’ils sont bien logés. Au niveau des baux, on est là pour les aider à remplir leurs baux et ensuite quand ils ont fait de mauvaises rencontres avec de mauvais propriétaires, et moi-même je les aide aussi à rencontrer ces propriétaires et défendre leur droit. Je l’ai fait tout le temps, pas moi seul, d’autres frères de l’église ont fait ça. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2019-01-07)

Si  dans  ces  discours  les  leaders  religieux  protègent  les  droits  des  locataires  auprès  des locateurs et en même temps les facilitent à trouver des logements dont les locateurs ne sont pas trop exigeants; les demandeurs d’asile, eux, insistent sur le rôle de l’église dans leur  déménagement  et  aménagement.  En  effet,  les  discours  suivants  décrivent  le  degré d’implication des leaders religieux dans leur établissement.

Je peux dire que l’Église oh! Elle m’a beaucoup aidé dans la recherche de logement  et  au  niveau  du  déménagement, l’Église  m’a  aidé à  ce  stade  […]  Oh! L’église me donnait ces chaises-là, ces sofas, le salon en général vient de l’église. […]Moi,  personnellement,  je  ne  bénéficiais  les  aides  alimentaires  de  l’église, mais  d’habitude  elle  fait  ces  distributions-là  à  d’autres  personnes  […]  (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2019-02-21)

Euh, l’Église […] a joué un rôle assez important pour nous, […] Madame Pasteur, elle était en charge de trouver des meubles […]: des lits, tables et tout pour nous. Elle s’est organisée sur internet, elle a passé le message, des personnes qui voulaient faire des dons, comme ça. Elle a loué un camion pour aller les chercher : les meubles, et tout. Et, passer les donner à chaque personne; elle prenait le nom, l’endroit,  l’adresse  plutôt,  le  nombre  de  personnes  qu’il  y  a,  ce  que  vous  avez besoin : une télé, un radio, un four, un frigidaire, quelque chose comme  ça, des meubles  de  maison  et  tout.  […]  On  était  toujours  là  avec  elle  pour  l’aider  à distribuer les choses […] Voilà, c’était vraiment bien […]. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2019-01-19)

Les églises et établissements domestiques prennent l’accompagnement au cas par cas des demandeurs  d’asile,  pour  la  plupart,  aux  fins  d’avoir  un  contrat  de bail  sans  avoir  à fournir une preuve de crédit, et les besoins en installation nécessaire dans leur logement respectif. Il  est  donc  un  aspect  de  l’intégration  sociale  des  demandeurs  d’asile  dans  la  société québécoise, car sans leur intervention, l’accès au logement et leur installation auraient été compliqués. Les églises ne s’arrêtent pas là, car dans d’autres circonstances elles ont été plus décisives, par exemple le service de garde.

2.3.- Les Églises et service de garde

L’accès au service de garde des enfants des demandeurs d’asile est pratiquement inexistant, sinon que quelques organismes communautaires qui leur offrent 2 ou 3 heures de garde. Il est donc impossible pour un demandeur d’asile seul avec ses enfants d’avoir un emploi.

Selon  certains  discours  de  leaders  religieux  et  de  demandeurs  d’asile,  certaines  églises ont trouvé une formule pour aider cette catégorie de demandeurs d’asile, soit en les aidant à  pouvoir  travailler,  soit  en  les  aidant  à  apprendre  un  métier  aux  fins  de  travailler  à l’avenir. Les discours suivants à la fois des leaders religieux et des demandeurs d’asile illustrent bien ce fait.

Il y avait une sœur qui travaillait, elle ne savait pas où laisser ses enfants, elle ne pouvait pas trouver de garderie, vous savez que c’est difficile ici, il faut être sur une liste d’attente, c’est compliqué, dimanche on se demandait qu’est-ce qu’on va faire? Tout le monde a donné des idées, on a pu trouver une solution. Elle allait travailler très tôt: 4 heures du matin, et en plus c’est une personne qui vient pour la première fois, alors j’ai trouvé quelqu’un qui n’habite pas loin, c’est un peu compliqué,  c’est  à  4  heures  du  matin,  mais  c’est  une  situation  temporaire.  Elle amène  les  enfants  à  cette  sœur,  qui  les  emmène  à  l’école;  elle  a  terminé  de travailler assez tôt, elle allait les récupérer après. C’est un peu compliqué pour la personne, c’est un sacrifice, mais je leur ai expliqués c’est ce que Jésus ferait, elle s’embarque. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)

À mon arrivée, moi et mes enfants de deux ans […], je suis seule, il fallait que je cherche  du  travail.  Encore,  je  voulais  prendre  une  formation  en  préposée  aux bénéficiaires, il m’a prêté de l’argent pour payer, il est venu chaque matin chercher les filles, parfois il ne sait même pas où elles vont les mettre, et lui, il va au travail. Il a appelé des sœurs de l’Église en les suppliant de les prendre pour lui.  Il  arrive  que  les  sœurs  soient  disponibles,  elles  les  prennent,  quelques  fois non, alors il reste à l’Église avec les filles. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2018-12-02)

Les  églises  et  service  de  garde  renvoient  à  la  prise  en  charge  des  enfants  de  familles monoparentales pendant que leurs parents vont travailler et vont à l’école professionnelle, à cause de l’inexistence de structure sociale formelle et permanente pour cette catégorie de personne au Québec.

L’église supplée à cette absence dans le contexte migratoire de 2017 et 2018. L’Église ne se donne pas que cette mission ; il a été donné à voir que les églises s’impliquent aussi à la socialisation à la québécoise.

2.4.- Les Églises et socialisation à la québécoise

Ici,  nous  nous  contentons  de  ne  relater  que  deux  discours  de  deux  demandeurs  d’asile pour signifier le rôle  des  églises  dans  le  processus  de  socialisation  à  la  québécoise des demandeurs d’asile. Ces derniers nous informent que les leaders religieux leur ont inculqué  les  pratiques  sociales  et  les  lois  du  pays  avant,  dans  et  après  les  cultes.  Ils avouent  aussi  que  c’était  nécessaire  d’avoir  des  échanges  entre  les  gens  ayant  vécu  ici pour pouvoir intégrer la culture québécoise, et les églises n’en ont pas manqué de jouer ce rôle. Voici les mots qui en témoignent :

[…]  Beaucoup,  presque  là  on  nous  enseigne,  avant  la  prêche  ou  pendant  les prêches, les pasteurs, les prédicateurs nous disent, nous ont inculqué les pratiques du pays, ce qui est bon à faire, ce qui n’est pas bon, donc les lois de ce pays, ce que nous devons respecter. Donc, d’autres personnes ne peuvent vous enseigner çà.  Des  choses  à  éviter.    (Propos  d’un  demandeur  d’asile  recueillis  à  Montréal 2018-11-20)

[…] Oui, des amis, parce que je viens dans un pays dont la coutume est étrangère à celle que je vivais autrefois, pour m’établir je devais savoir comment vont les choses, parce que la façon (sic) qu’on conduit ici, même en voiture, c’est différent par rapport à Haïti. Il y a pas mal de règles, pas mal de panneaux à respecter, ce qui  n’est  pas  le  cas  chez  nous,  donc  ce  sont  les  gens  d’ici  qui  peuvent  nous conduire, nous dire bon, ça c’est faisable, ça ne se fait pas. […] Oui, en arrivant à l’église on se sent confiant parce qu’on a presque tous vécu la même chose, ces gens de choses-là pour l’éviter quelqu’un qui l’a vécu avant nous, bien que tous les problèmes ne soient pas résolus de la même façon, mais un conseil peut vous aider. […] (Propos recueillis d’un demandeur d’asile à Montréal 2018-11-20)

«  Les  églises  et  socialisation  à  la  québécoise  »  est  l’ensemble  d’activités  sociales  des églises  visant  à  faire  connaître  les  us  et  coutumes  des  québécois.es  des  demandeurs d’asile. Nous  devons  admettre  que  celle-ci  prenne  davantage  de  mœurs  et  de  coutumes,  c’est pourquoi  nous  avons  su  décrire  autant  ses  dimensions.  Cette  dernière  représente  donc l’étape la plus décisive dans l’intégration des gens. Peut-on dire à partir de cela que les églises  se  sont  substituées  aux  organismes  communautaires  et/ou  à  la  structure  sociale officielle.  La  réponse  est  non,  étant  donné  l’interrelation  des  églises  dans  ce  contexte avec les autres structures, notamment celle des organismes communautaires.

2.5.- La Communauté ecclésiastique et l’organisme communautaire

Il  semble  qu’il  y  ait  quelques  critiques  qui  pensent  que  les  églises  se  substituent  aux organismes communautaires; il n’en est rien. Il n’en est rien parce que les leaders religieux n’ont non seulement pas cette prétention, mais encore ils sollicitent les services des  organismes  communautaires  aux  besoins.  Ils  les  ont  plutôt  considérés  comme  leur complément. Autant qu’ils considèrent l’immensité des travaux de ceux-ci dans ce contexte, autant qu’ils se donnent pour responsabilité de compléter leur manquement. En effet, selon eux, les organismes communautaires ont donné un encadrement général, alors qu’ils donnent un encadrement à la fois général et personnalisé. Ils pensent qu’on ne peut demander, par exemple,  à  une  personne  qui  ne  parle  pas  français  de  se  rendre  dans  un centre  hospitalier seule  pour avoir des  soins  médicaux,  donc  il  va  falloir une  aide  plus directe. C’est ainsi qu’ils se sont révélés dans la structure sociale québécoise. Les propos suivants,  venant  à  la  fois  des  leaders  religieux  et  d’un  demandeur  d’asile,  décrivent  ce rôle structurant de l’église dans le contexte migratoire.

[…]Les organismes communautaires font un grand travail avec eux. J’ai un oncle qui a un organisme qui aide les gens du côté de Côtes des neiges, à cause que je n’ai pas assez de temps pour faire plein de choses je me réfère à lui pour m’aider dans  certaines  situations.  Cependant,  comment  je  vois  notre  implication,  nous autres,  nous  voulons  être  plus  personnalisés  parce  que  c’est  sûr  que  si  j’envoie quelqu’un  à  un organisme,  ça  va  être  vraiment  différent.  Par  exemple,  j’ai  une personne  qui  n’écrit  pas  et  qui  ne  lit  pas,  elle  a des  rendez-vous  médicaux si  je l’envoie,  c’est  sûr  que  ça  va  être  un  peu  difficile  pour  elle.  La  plupart  des  cas, c’est moi qui dois parler au médecin pour expliquer sa situation, sinon elle m’appelle  pour  me  dire  voilà  qu’est-ce  qu’on  lui  dit  c’est  que  la  relation  qu’on veut avoir avec les gens c’est que l’organisme communautaire va offrir un service plus  large,  mais  nous  autres  nous  personnalisons  le  service.  Je  m’assure  que  si j’aide six (6) personnes, ces personnes reçoivent l’assistance exacte dont elles ont besoin. C’est qu’il y a des choses qu’un organisme communautaire ne va pas faire Il  y  a du monde qui n’est pas habitué  avec  notre système ici. […] Peut être vous lui donnez de l’argent, parfois la personne  n’a pas besoin de l’argent ; il a besoin de  ton temps  vraiment pour  vous expliquer  quelque  chose.  Parfois la personne  a  besoin  de  moi  juste  pour  m’expliquer  des  choses  personnelles  pour lesquelles je vais les devoir donner des conseils ; alors, envoyez cette personne à un organisme communautaire c’est sûr qu’elle ne va pas avoir satisfaction. Toutefois, je ne dis pas que ces organismes ne font pas un bon travail, ils font un travail généralisé, ils n’ont pas de choix parce qu’ils s’étaient un peu dépassés par les événements à cause du flux d’immigrations. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)

[…] Bon, je peux dire oui, il y a des sœurs qui m’ont envoyé à la Maison d’Haïti, La  Pelle  Retrouvée et  un  centre  africain.  Maison  d’Haïti,  on  fait  beaucoup  de chose là-bas, on m’a donné de la nourriture, on  me donne des  couches pour les enfants et on fait des formations. Il y a aussi une garderie où l’on garde les enfants si l’on doit être absent pour deux ou trois heures de temps. La Pelle Retrouvée, on donne  des  choses  à  manger,  on  fait  des  formations,  juste  pour  savoir  comment s’intégrer  dans  le  pays.  Et  il  y  a  aussi  un  centre  d’intégration  sur  St-Michel,  ça c’est  le  pasteur  qui  nous  a  donné  l’information  afin  de  faire  la  formation  pour l’intégration. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2018-12-02)

Communauté ecclésiastique  et  organisme  communautaire,  enfin,  est  cette  rencontre  des deux  communautés  dans  leurs  pratiques  sociales  et  légales  d’intégration  inclusive  des demandeurs d’asile.

Cette présentation factuelle de la contribution des églises dans l’intégration de ces derniers dans la société québécoise serait insuffisante si l’on ne tente pas de donner une signification  minimale  à  ce  phénomène  social,  notamment  aux  pratiques  sociales  des églises.

3.- La signification des actions des leaders religieux

Il  semble  évident,  en  tenant  compte  de  ces  faits,  que  l’Église  soit  une  des  propriétés structurelles du système social québécois. Selon que Giddens les désigne « …comme les murs d’une pièce d’où une personne ne peut s’échapper mais dans laquelle elle peut agir à sa guise » (Giddens, 1989, p.232). Nous considérons que la société québécoise n’a eu de choix que de laisser agir les églises dans ce contexte migratoire pour mieux adresser ce problème. Ainsi, le système social n’a eu de constater l’émergence de cette propriété structurelle.  Si  l’on  s’en  tient  à  l’affirmation  que  la  religion  est  inséparable  à  l’idée d’Église et est aussi éminemment collective, ainsi qu’à une certaine époque que la religion  règle  toute  l’existence  individuelle et  collective,  puis  bénit  toutes  les fonctions sociales (Durkheim, 1960, 65; Rémond, cité dans Bouvier, 2005, p.119), on dirait certes que l’église a toujours fait partie de la structure sociale. Le contexte actuel et surtout celui du  Québec  ne  la  relègue  que  dans  une  posture  marginale,  si  bien  que  les  politiques publiques n’ont octroyé que peu de place, sinon pas de place à cette structure sociale. Les actions récentes de ces acteurs ecclésiastiques devaient en principe attirer l’attention du politique sur la contribution de l’église dans le raffermissement des liens sociaux. Même si  que  cela  ne  devait  pas  nous  amener  à  oublier  ces  errements  dans  le  passé.  En  effet, l’essence du phénomène religieux n’est pas l’axe de notre interprétation ici, mais, comme nous suggère Freud, « le comportement auquel celui-ci donne lieu du fait qu’il s’appuie sur certaines expériences particulières, sur des représentations et des fins déterminées  » (Freud, 1968, 153). Ainsi, nous soutenons qu’en tant que partie du corps social, elle peut, sous  un  contrôle  assumé,  intégrer  officiellement  les  propriétés  structurelles  du  système social. Venons-en aux activités sociales des églises.

Les leaders religieux et les demandeurs d’asile ont en effet émaillé leurs discours du rôle des églises dans l’intégration des nouveaux arrivants, laquelle intégration est tantôt régulation administrative et sociale, tantôt socialisation à la québécoise. Cela témoigne le rapport que les églises ont eu aux normes écrites et sociales avec les demandeurs d’asile. Le  terme  communauté  et  même  religieuse  ébranle la plupart  des  gens  pour  des  raisons idéologiques, mais il demeure en réalité un problème quand la socialisation est prise dans son aspect morphogénétique, c’est-à-dire l’apprentissage du comportement et de l’acculturation. En d’autres termes, quand l’intégration implique que les comportements doivent se conformer aux normes établies (Schnapper, 2007, p.15). Cependant, quand la socialisation  est  «  la  somme  totale  de  toutes  les  expériences  sociales  qui  modifient  le développement d’un individu » tout comme affirme-t-on, « qu’on invoque la régulation, l’intégration, le « faire société », le « vivre ensemble », l’interrogation reste la même, elle perte à la fois sur l’intégration des individus à la société et sur l’intégration de la société dans son ensemble » (Wilson, 1975, p. 159, cité dans G. Busino, 1993, p.58; Schnapper, 2007, p.16). Dans cette optique, la socialisation ou l’intégration, qui se fait en partie dans un cadre communautaire, ne devrait pas constituer un problème. D’autant que les églises à  part  quelques  habitudes  culinaires  qu’elles  n’invitent  pas  aux  demandeurs  d’asile  à changer, elles les informent sur l’ensemble des pratiques sociales québécoises, même le timbre  de  voix  en  public.  Il  s’agit  en  fait  d’une  adaptation  à  la  Parsons  selon  laquelle celle-ci  «  ne  fait  pas  uniquement  référence  à  l’ajustement  passif  d’une  espèce  ou  d’un type de système social aux conditions de son environnement, elle doit inclure des facteurs de survivance plus actifs » (Parson, cité dans Giddens, 1989, p. 326). Il semble que les églises s’inscrivent dans ce type d’adaptation et de socialisation, alors que nous parlons de  socialisation  à  la  québécoise.  Celle-ci  ne  réduirait  pas  les  églises  à  apprendre  les pratiques sociales québécoises aux demandeurs d’asile. Cette adaptation et socialisation les  renvoie  plutôt  aux  affirmations  de  Parson,  qui  relie  l’ajustement  passif  et  actif  des demandeurs  d’asile,  donc  leur  culture  d’origine  est  prise  en  compte  dans  le  processus d’intégration et/ou régulation. Ce que Schnapper appelle « intégration identificatoire » ( p. 111).

Pour  finir,  nous  attirons  votre  attention  sur  deux  aspects : le  service  de  garde  et la collaboration des églises avec les organismes communautaires. Les églises ont contribué à combler un vide dans le système social quand elles ont pris en charge les enfants des demandeurs d’asile en les aidant soit à aller travailler, soit à les faciliter à apprendre un métier à dessein d’intégrer le marché de l’emploi, qui est une composante de l’« intégration  structurelle  »  chez  Schnapper.  Ce  fait  semble  un  détail  ou  un  événement singulier parmi d’autres. Il convient ici de soutenir avec quelques auteurs l’importance du particulier et du souci du détail pour les chercheurs (Becker, 1985, p. 216; Adam, Kilani, Affergan, Qeerz, Laplantine, Laburthe-Tolra, 1990, cité dans Cifali et André, 2007, p.334; Cafali et André, Ibi., p.341; Morisse, 2014, p. 18). C’est en effet dans le détail et le singulier que puisse émerger une dimension ou une interprétation nouvelle. L’appropriation du service de garde des leaders religieux dans ce contexte est une démonstration de la manière dont les églises ont habité l’espace social, et donc constitue une  propriété  structurelle  du  système  social  québécois.  D’autre  part,  la  communauté ecclésiastique  ne  s’est  pas  substituée  aux  organismes  communautaires,  elle  a  été  plutôt son  complément  en  étant  présent  individuellement  pour  les  personnes  ne  parlant  pas français,  notamment,  quand  elles  devaient  aller  soit  à  une  clinique  médicale,  soit  à  un bureau  public.  Voilà  encore  un  événement  inattendu  dont  les  leaders  religieux  se  sont appropriés. Ce n’est pas sans raison que Otero et Roy estiment que « le social reposait sur un ensemble de malentendus qui fonctionnent et qui constitueraient en quelque sorte le  liant  entre  les  gens,  agents  et  dirigeants.  Chacun  disposerait  un  espace  d’action, d’adaptation qui reposerait sur l’hétérogénéité des compréhensions et des appropriations » (Otero et Roy, 2013, p. 10)   Donc, parler du rôle des leaders religieux (Églises) dans le processus d’intégration ou de résilience (cf. Jean Baptiste, 2022, www.gitmdev.com) des  demandeurs  d’asile  haïtiens  renvoie à  l’ensemble  des  actions dont  nous  avons  fait  état  ici.  Voilà  pourquoi  qu’il  nous  semble  que  la  communauté ecclésiastique soit une propriété structurelle du système social du Québec. Si notre proposition est une fiction malgré tout, que seraient les pratiques sociales des églises dans ce contexte migratoire?

Références

Becker, H.S. (1985), Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.

Bouvier, P. (2005), Le lien social, coll. Folio Essais, Paris, Gallimard, France.

Busino,  G.  (1993),  Critiques  du  savoir  sociologique.  Paris,  Presses  Universitaires  de

France.

Cifali, M. et André A. (2007), Écrire l’expérience, vers la reconnaissance des pratiques

professionnelles, Paris, Presses Universitaires de France.

Clavel,  M.  (1996), Sociologie  et  ethnologie  urbaine.  Dans  S.  Ostrowetsky  ed.  (dir.),

Sociologie en Ville. Paris, L’Harmattan, France.

Durkheim, E. (1960), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses

Universitaires de France.

Freud, J. (1968), Sociologie de Max Weber, coll. « SUP », Paris, Presses Universitaires

de France.

Giddens, A. (1989), La construction de la société. Paris, Presses Universitaires de France.

Jean Baptiste, E., (2022), La résilience ecclésiastique dans le contexte des flux

migratoires des années 2017 et 2018 au Québec, https//www.gitmdev.com

Morisse, M. (2014), Les dimensions réflexive et professionnalisante de l’écriture,

Quelques considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques, (Dir.)

Morisse M. et Lafortune L., (2014), L’écriture réflexive, Objet de recherche et de

professionnalisation, Coll. « Éducation-Recherche », Québec, Presses de l’Université du

Québec, Canada.

Otero, M. et Roy, S. (2013), Introduction, (Dir.) Otero, M. et Roy, S., Qu’est que qu’un

problème social aujourd’hui, Repenser la non-conformité, Québec, Presses de

l’Université du Québec, Canada.

Schnapper, D. (2007), Qu’est-ce que l’intégration? Coll. « Folio Actuel », Paris,

Gallimard, France.

Emerson Jean Baptiste, Ph.D.

Fait le 13 mars 2023 au Québec, Montréal, Canada

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  • Bonjour,

    Merci pour cet article très enrichissant sur la posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens entre 2017 et 2018. Votre analyse détaillée des rôles multiples des Églises, que ce soit en termes de régulation administrative, d’aide au logement, de service de garde ou de socialisation, est particulièrement éclairante. J’apprécie également les témoignages inclus qui humanisent le sujet et montrent l’impact concret des Églises.

    Continuez votre excellent travail !

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