14 Mar 2023
Dr. Emerson Jean Baptiste
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Posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens 2017-2018
Posture des Églises au Québec dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile haïtiens 2017-2018
La ville de Montréal a connu une vague migratoire venant de partout, notamment des demandeurs d’asile haïtiens, dans la période 2017 à 2018. Ce phénomène n’a pas laissé indifférent les chercheurs et les essayistes. Les églises, dans ce contexte général, semblent jouer un rôle significatif dans l’établissement des demandeurs d’asile aux côtés des institutions publiques et des organismes communautaires. Á la suite de ce constat, une équipe de chercheurs au Département de Sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a été obligé de diligenter une étude sur le rôle des leaders religieux dans le processus de résilience de ces demandeurs d’asile. Mais la dynamique de terrain donne à voir que les Églises s’inscrivent aussi dans un processus d’intégration, auquel nous sommes intéressé à révéler. Autrement dit, comment les Églises ont habité, au travers des pratiques religieuses, l’« espace social » (Clavel, 1996, p. 85) dans ce contexte migratoire. Pour faire cette représentation, le contexte d’intervention des leaders religieux est mis en avant, ensuite la description des différents rapports des églises avec les demandeurs d’asile. Puis, nous esquissons une signification de ce phénomène églises et demandeurs d’asile à Montréal. Ce travail est rendu possible, grâce à 10 entrevues des leaders et 20 des demandeurs d’asile que nous avons réalisé. C’est donc par le langage que nous allons construire cette représentation sociale.
1.- Le Contexte d’intervention des leaders religieux
Il existe toute une panoplie de contextes entourant la rencontre des églises avec les demandeurs d’asile. Les églises haïtiennes, inspirées de leur double mission spirituelle et sociale, se voient obligées d’intervenir auprès des demandeurs d’asile en vue de contribuer à leur intégration au Québec. Il semble qu’elles n’aient pas réussi à prouver que les leaders religieux avaient un enjeu commun et une stratégie commune à travers cette enquête. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont réussi à faire des activités sociales, dont les résultats témoignent, jusqu’ici, de leur utilité dans le processus d’intégration des demandeurs d’asile. Comment donc les Églises sont-elles amenées à participer dans ce processus? Grâce au réseau social Facebook, à la presse parlée et télévisée, à la communication “de bouche-à-oreille”, pour ne citer que cela, elles ont été touchées. Quels ont été les mécanismes d’interaction des églises avec les demandeurs d’asile? Trois mécanismes ont été constatés : « interaction amicale ecclésiastique », « interaction familiale ecclésiastique », et « interaction fortuite ecclésiastique ». Nous entendons par interaction amicale ecclésiastique, d’une part, la relation que les demandeurs d’asile ont construite avec les églises par l’entremise de leur ami. Par interaction familiale ecclésiastique, d’autre part, les liens qui sont tissés par des demandeurs d’asile haïtiens par le biais de leur parent. Enfin, par interaction fortuite ecclésiastique, le genre de relation qui s’est établie avec l’église là où l’on ne s’attendait pas du tout, c’est-à-dire des circonstances fortuites entraînent les demandeurs d’asile à envisager d’entrer en contact avec des églises. Les Églises, en plus, d’établir des liens religieux, construisent des liens sociaux significatifs dans l’installation de ces derniers. Qu’il soit l’interaction fortuite ecclésiastique, qu’il soit l’interaction familiale ecclésiastique, qu’il soit l’interaction amicale ecclésiastique, l’apport des églises est d’abord social pour les demandeurs d’asile. Après avoir décrit les circonstances dans lesquelles les Églises sont entrées en action, il importe de voir les rapports de l’Église avec les normes, les rapports de l’Église avec la culture et les rapports de l’Église avec les acteurs sociaux (demandeurs d’asile) et avec d’autres institutions.
2.- La représentation sociale des Églises dans l’espace de la ville de Montréal
Les églises, dans ce contexte migratoire, ont inventé des stratégies multiples pour venir en aide aux demandeurs d’asile haïtiens. Elles se sont multipliées les rapports conventionnels et ceux non-conventionnels pour venir à bout de leurs besoins en régulation administrative et sociale, en établissement domestique, en service de garde, en socialisation à la québécoise, sans compter leurs mutualités avec les organismes communautaires. La régulation administrative et sociale, qui constitue l’action prioritaire dans le processus d’insertion, a été abordée par les leaders religieux comme suit.
2.1.- Les Églises, régulation administrative et sociale
La régulation des demandeurs d’asile est une préoccupation majeure, et pour le pouvoir public, et pour les citoyens. On s’interroge sur la structure de l’État à pouvoir y faire face dans le délai requis par la loi pour éviter une crise d’immigration dans le pays. Évidemment, il y a un système social au Québec qui répond adéquatement à tout flux migratoire. Il semble toutefois que les structures administratives et surtout sociales officielles aient été un peu dépassées. C’est ainsi que les églises haïtiennes et certaines québécoises ont montré leur potentielle sociale en venant en aide aux demandeurs d’asile haïtiens. Elles ont prêté leur concours à la fois à la régulation administrative et sociale. Dans notre étude, nous avons pu retenir quelques discours des leaders religieux et ceux des demandeurs d’asile qui confirment l’agir des églises dans le processus de régulation. Cependant, nous allons nous en tenir à quelques-uns pour justifier cet apport. Que nous disent les leaders religieux?
Les leaders religieux, qui ont porté ces discours, ont leurs églises au Nord et au Sud de Montréal avec un effectif en moyenne 150 membres. Ils affirment avoir accompagné les demandeurs d’asile dans leurs démarches pour produire leur demande, en les référant des avocats pour ceux qui peuvent payer les honoraires, en les aidant à monter leur histoire, ainsi qu’en les orientant vers des organismes communautaires afin de les accompagner administrativement. En voici deux discours :
[…] ils arrivent, ils ne connaissent pas encore le pays, à qui se référer, ok, on dit, il y a tel autre pasteur, tel ami, qui est dans l’immigration; la maison x, la maison y, l’organisme, et puis, on les accompagne pour qu’ils puissent entamer la démarche pour faire la demande d’asile. Si la personne est refusée, on dit ok, il y a une autre étape. D’autres qui ont réussi avec certains avocats, qui font très bien la job, ils ont été accompagnés sur référence par d’autres. […] En fait, c’est en termes de réseautage et de soutien communicatif, informatif. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-24)
[…] Voici ce que je fais quand les gens m’ont raconté leur histoire ou bien qu’ils ont des alibis, parfois des gens qui n’ont pas d’argent pour payer les services d’un avocat, parfois j’étudie leur dossier avec eux pour voir s’il y a du sens dans leur dossier. C’est comme ça. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2019-01-07)
Sur le plan de la régulation sociale leurs actions sont variées, c’est ainsi qu’on peut les retrouver dans presque tous les segments des discours à la fois des leaders religieux et des demandeurs d’asile. Toutefois, nous retenons ici celui qui suit :
[…] Ensuite, votre enfant doit aller à l’école. On leur dit voici la structure, ce n’est plus en Haïti, parfois on court 30, 40 minutes pour amener les enfants à l’école. Ici, votre école est dans le quartier, on leur montre tout ça. On fait comme une sorte d’intégration pour eux à 360 degrés, donc pour initier l’intégration avec leurs enfants, donc tout ça, la famille, par téléphone, il y a des gens qui se déplacent pour les aider. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-24)
Ainsi, la régulation administrative et sociale constitue un double mouvement : produire la demande d’asile dans les règles de l’art et appréhender le mécanisme d’intégration de la structure scolaire. Celle-ci n’empêche d’aborder un autre aspect, étant donné son importance aux activités sociales des leaders religieux, celui d’établissement domestique des demandeurs d’asile.
2.2.- Les Églises et établissement domestique
La législation sur les loyers autorise les locateurs de vérifier le niveau de crédibilité de tout locataire à honorer un contrat de bail, or les nouveaux arrivants ne sauraient en avoir, compte tenu de leur situation. Il a fallu l’intervention des églises pour pallier cet inconvénient. Elles ne se contentent pas seulement d’aider les demandeurs d’asile à avoir un logement, elles ont aussi pris le soin de leur chercher des appareils électroménagers, des meubles, des ustensiles de cuisine etc. Ce fait est relaté dans les discours des leaders religieux et ceux des demandeurs d’asile. Nous les présentons séparément. Les propos suivants sont, tous, des leaders religieux qui ont accueilli et prêté leur service aux demandeurs d’asile allant de 50 à 150 à leurs églises respectives. Ces leaders sont de confession baptiste, pentecôtiste. Pourtant, ils n’ont reçu que des gens de leurs confessions. Leur travail s’étend à tous et à toutes. Ils nous disent avoir accompagné les demandeurs personnellement quand ils doivent chercher un logement pour deux raisons majeures : se porter garant de leur crédit et éviter les abus de certains propriétaires à leur égard.
[…] Pour le logement, je crois qu’en 2017 ce sont plus de 150 personnes qu’on a aidé à trouver de logement. Présentement, ils sont encore dans leur logement la plupart d’entre eux, […] Depuis juin 2017, je travaille jusqu’à midi, à cette heure je rencontre les gens, on était plusieurs. On cherche sur le terrain avec eux, on ne les envoie pas, on cherche avec eux […] certains propriétaires leur demandent de vérifier leur crédit, j’ai dû trouver des endroits qui n’exigent pas ça. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)
[…] On savait que les propriétaires faisaient la surenchère avec les prix, ils montaient les prix visiblement devant tout le monde. Il fallait un accompagnement non seulement pour qu’ils puissent choisir des maisons parmi les membres qui en avaient de disponible, mais aussi pour éviter que ces maisons soient surpayées. […] C’est un peu dans cette démarche que l’église s’est inscrite avec des demandeurs d’asile. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-11-30)
[…] Quand ils ont trouvé un logement on les visite pour voir s’ils sont bien logés. Au niveau des baux, on est là pour les aider à remplir leurs baux et ensuite quand ils ont fait de mauvaises rencontres avec de mauvais propriétaires, et moi-même je les aide aussi à rencontrer ces propriétaires et défendre leur droit. Je l’ai fait tout le temps, pas moi seul, d’autres frères de l’église ont fait ça. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2019-01-07)
Si dans ces discours les leaders religieux protègent les droits des locataires auprès des locateurs et en même temps les facilitent à trouver des logements dont les locateurs ne sont pas trop exigeants; les demandeurs d’asile, eux, insistent sur le rôle de l’église dans leur déménagement et aménagement. En effet, les discours suivants décrivent le degré d’implication des leaders religieux dans leur établissement.
Je peux dire que l’Église oh! Elle m’a beaucoup aidé dans la recherche de logement et au niveau du déménagement, l’Église m’a aidé à ce stade […] Oh! L’église me donnait ces chaises-là, ces sofas, le salon en général vient de l’église. […]Moi, personnellement, je ne bénéficiais les aides alimentaires de l’église, mais d’habitude elle fait ces distributions-là à d’autres personnes […] (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2019-02-21)
Euh, l’Église […] a joué un rôle assez important pour nous, […] Madame Pasteur, elle était en charge de trouver des meubles […]: des lits, tables et tout pour nous. Elle s’est organisée sur internet, elle a passé le message, des personnes qui voulaient faire des dons, comme ça. Elle a loué un camion pour aller les chercher : les meubles, et tout. Et, passer les donner à chaque personne; elle prenait le nom, l’endroit, l’adresse plutôt, le nombre de personnes qu’il y a, ce que vous avez besoin : une télé, un radio, un four, un frigidaire, quelque chose comme ça, des meubles de maison et tout. […] On était toujours là avec elle pour l’aider à distribuer les choses […] Voilà, c’était vraiment bien […]. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2019-01-19)
Les églises et établissements domestiques prennent l’accompagnement au cas par cas des demandeurs d’asile, pour la plupart, aux fins d’avoir un contrat de bail sans avoir à fournir une preuve de crédit, et les besoins en installation nécessaire dans leur logement respectif. Il est donc un aspect de l’intégration sociale des demandeurs d’asile dans la société québécoise, car sans leur intervention, l’accès au logement et leur installation auraient été compliqués. Les églises ne s’arrêtent pas là, car dans d’autres circonstances elles ont été plus décisives, par exemple le service de garde.
2.3.- Les Églises et service de garde
L’accès au service de garde des enfants des demandeurs d’asile est pratiquement inexistant, sinon que quelques organismes communautaires qui leur offrent 2 ou 3 heures de garde. Il est donc impossible pour un demandeur d’asile seul avec ses enfants d’avoir un emploi.
Selon certains discours de leaders religieux et de demandeurs d’asile, certaines églises ont trouvé une formule pour aider cette catégorie de demandeurs d’asile, soit en les aidant à pouvoir travailler, soit en les aidant à apprendre un métier aux fins de travailler à l’avenir. Les discours suivants à la fois des leaders religieux et des demandeurs d’asile illustrent bien ce fait.
Il y avait une sœur qui travaillait, elle ne savait pas où laisser ses enfants, elle ne pouvait pas trouver de garderie, vous savez que c’est difficile ici, il faut être sur une liste d’attente, c’est compliqué, dimanche on se demandait qu’est-ce qu’on va faire? Tout le monde a donné des idées, on a pu trouver une solution. Elle allait travailler très tôt: 4 heures du matin, et en plus c’est une personne qui vient pour la première fois, alors j’ai trouvé quelqu’un qui n’habite pas loin, c’est un peu compliqué, c’est à 4 heures du matin, mais c’est une situation temporaire. Elle amène les enfants à cette sœur, qui les emmène à l’école; elle a terminé de travailler assez tôt, elle allait les récupérer après. C’est un peu compliqué pour la personne, c’est un sacrifice, mais je leur ai expliqués c’est ce que Jésus ferait, elle s’embarque. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)
À mon arrivée, moi et mes enfants de deux ans […], je suis seule, il fallait que je cherche du travail. Encore, je voulais prendre une formation en préposée aux bénéficiaires, il m’a prêté de l’argent pour payer, il est venu chaque matin chercher les filles, parfois il ne sait même pas où elles vont les mettre, et lui, il va au travail. Il a appelé des sœurs de l’Église en les suppliant de les prendre pour lui. Il arrive que les sœurs soient disponibles, elles les prennent, quelques fois non, alors il reste à l’Église avec les filles. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2018-12-02)
Les églises et service de garde renvoient à la prise en charge des enfants de familles monoparentales pendant que leurs parents vont travailler et vont à l’école professionnelle, à cause de l’inexistence de structure sociale formelle et permanente pour cette catégorie de personne au Québec.
L’église supplée à cette absence dans le contexte migratoire de 2017 et 2018. L’Église ne se donne pas que cette mission ; il a été donné à voir que les églises s’impliquent aussi à la socialisation à la québécoise.
2.4.- Les Églises et socialisation à la québécoise
Ici, nous nous contentons de ne relater que deux discours de deux demandeurs d’asile pour signifier le rôle des églises dans le processus de socialisation à la québécoise des demandeurs d’asile. Ces derniers nous informent que les leaders religieux leur ont inculqué les pratiques sociales et les lois du pays avant, dans et après les cultes. Ils avouent aussi que c’était nécessaire d’avoir des échanges entre les gens ayant vécu ici pour pouvoir intégrer la culture québécoise, et les églises n’en ont pas manqué de jouer ce rôle. Voici les mots qui en témoignent :
[…] Beaucoup, presque là on nous enseigne, avant la prêche ou pendant les prêches, les pasteurs, les prédicateurs nous disent, nous ont inculqué les pratiques du pays, ce qui est bon à faire, ce qui n’est pas bon, donc les lois de ce pays, ce que nous devons respecter. Donc, d’autres personnes ne peuvent vous enseigner çà. Des choses à éviter. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2018-11-20)
[…] Oui, des amis, parce que je viens dans un pays dont la coutume est étrangère à celle que je vivais autrefois, pour m’établir je devais savoir comment vont les choses, parce que la façon (sic) qu’on conduit ici, même en voiture, c’est différent par rapport à Haïti. Il y a pas mal de règles, pas mal de panneaux à respecter, ce qui n’est pas le cas chez nous, donc ce sont les gens d’ici qui peuvent nous conduire, nous dire bon, ça c’est faisable, ça ne se fait pas. […] Oui, en arrivant à l’église on se sent confiant parce qu’on a presque tous vécu la même chose, ces gens de choses-là pour l’éviter quelqu’un qui l’a vécu avant nous, bien que tous les problèmes ne soient pas résolus de la même façon, mais un conseil peut vous aider. […] (Propos recueillis d’un demandeur d’asile à Montréal 2018-11-20)
« Les églises et socialisation à la québécoise » est l’ensemble d’activités sociales des églises visant à faire connaître les us et coutumes des québécois.es des demandeurs d’asile. Nous devons admettre que celle-ci prenne davantage de mœurs et de coutumes, c’est pourquoi nous avons su décrire autant ses dimensions. Cette dernière représente donc l’étape la plus décisive dans l’intégration des gens. Peut-on dire à partir de cela que les églises se sont substituées aux organismes communautaires et/ou à la structure sociale officielle. La réponse est non, étant donné l’interrelation des églises dans ce contexte avec les autres structures, notamment celle des organismes communautaires.
2.5.- La Communauté ecclésiastique et l’organisme communautaire
Il semble qu’il y ait quelques critiques qui pensent que les églises se substituent aux organismes communautaires; il n’en est rien. Il n’en est rien parce que les leaders religieux n’ont non seulement pas cette prétention, mais encore ils sollicitent les services des organismes communautaires aux besoins. Ils les ont plutôt considérés comme leur complément. Autant qu’ils considèrent l’immensité des travaux de ceux-ci dans ce contexte, autant qu’ils se donnent pour responsabilité de compléter leur manquement. En effet, selon eux, les organismes communautaires ont donné un encadrement général, alors qu’ils donnent un encadrement à la fois général et personnalisé. Ils pensent qu’on ne peut demander, par exemple, à une personne qui ne parle pas français de se rendre dans un centre hospitalier seule pour avoir des soins médicaux, donc il va falloir une aide plus directe. C’est ainsi qu’ils se sont révélés dans la structure sociale québécoise. Les propos suivants, venant à la fois des leaders religieux et d’un demandeur d’asile, décrivent ce rôle structurant de l’église dans le contexte migratoire.
[…]Les organismes communautaires font un grand travail avec eux. J’ai un oncle qui a un organisme qui aide les gens du côté de Côtes des neiges, à cause que je n’ai pas assez de temps pour faire plein de choses je me réfère à lui pour m’aider dans certaines situations. Cependant, comment je vois notre implication, nous autres, nous voulons être plus personnalisés parce que c’est sûr que si j’envoie quelqu’un à un organisme, ça va être vraiment différent. Par exemple, j’ai une personne qui n’écrit pas et qui ne lit pas, elle a des rendez-vous médicaux si je l’envoie, c’est sûr que ça va être un peu difficile pour elle. La plupart des cas, c’est moi qui dois parler au médecin pour expliquer sa situation, sinon elle m’appelle pour me dire voilà qu’est-ce qu’on lui dit c’est que la relation qu’on veut avoir avec les gens c’est que l’organisme communautaire va offrir un service plus large, mais nous autres nous personnalisons le service. Je m’assure que si j’aide six (6) personnes, ces personnes reçoivent l’assistance exacte dont elles ont besoin. C’est qu’il y a des choses qu’un organisme communautaire ne va pas faire Il y a du monde qui n’est pas habitué avec notre système ici. […] Peut être vous lui donnez de l’argent, parfois la personne n’a pas besoin de l’argent ; il a besoin de ton temps vraiment pour vous expliquer quelque chose. Parfois la personne a besoin de moi juste pour m’expliquer des choses personnelles pour lesquelles je vais les devoir donner des conseils ; alors, envoyez cette personne à un organisme communautaire c’est sûr qu’elle ne va pas avoir satisfaction. Toutefois, je ne dis pas que ces organismes ne font pas un bon travail, ils font un travail généralisé, ils n’ont pas de choix parce qu’ils s’étaient un peu dépassés par les événements à cause du flux d’immigrations. (Propos d’un pasteur recueillis à Montréal 2018-01-13)
[…] Bon, je peux dire oui, il y a des sœurs qui m’ont envoyé à la Maison d’Haïti, La Pelle Retrouvée et un centre africain. Maison d’Haïti, on fait beaucoup de chose là-bas, on m’a donné de la nourriture, on me donne des couches pour les enfants et on fait des formations. Il y a aussi une garderie où l’on garde les enfants si l’on doit être absent pour deux ou trois heures de temps. La Pelle Retrouvée, on donne des choses à manger, on fait des formations, juste pour savoir comment s’intégrer dans le pays. Et il y a aussi un centre d’intégration sur St-Michel, ça c’est le pasteur qui nous a donné l’information afin de faire la formation pour l’intégration. (Propos d’un demandeur d’asile recueillis à Montréal 2018-12-02)
Communauté ecclésiastique et organisme communautaire, enfin, est cette rencontre des deux communautés dans leurs pratiques sociales et légales d’intégration inclusive des demandeurs d’asile.
Cette présentation factuelle de la contribution des églises dans l’intégration de ces derniers dans la société québécoise serait insuffisante si l’on ne tente pas de donner une signification minimale à ce phénomène social, notamment aux pratiques sociales des églises.
3.- La signification des actions des leaders religieux
Il semble évident, en tenant compte de ces faits, que l’Église soit une des propriétés structurelles du système social québécois. Selon que Giddens les désigne « …comme les murs d’une pièce d’où une personne ne peut s’échapper mais dans laquelle elle peut agir à sa guise » (Giddens, 1989, p.232). Nous considérons que la société québécoise n’a eu de choix que de laisser agir les églises dans ce contexte migratoire pour mieux adresser ce problème. Ainsi, le système social n’a eu de constater l’émergence de cette propriété structurelle. Si l’on s’en tient à l’affirmation que la religion est inséparable à l’idée d’Église et est aussi éminemment collective, ainsi qu’à une certaine époque que la religion règle toute l’existence individuelle et collective, puis bénit toutes les fonctions sociales (Durkheim, 1960, 65; Rémond, cité dans Bouvier, 2005, p.119), on dirait certes que l’église a toujours fait partie de la structure sociale. Le contexte actuel et surtout celui du Québec ne la relègue que dans une posture marginale, si bien que les politiques publiques n’ont octroyé que peu de place, sinon pas de place à cette structure sociale. Les actions récentes de ces acteurs ecclésiastiques devaient en principe attirer l’attention du politique sur la contribution de l’église dans le raffermissement des liens sociaux. Même si que cela ne devait pas nous amener à oublier ces errements dans le passé. En effet, l’essence du phénomène religieux n’est pas l’axe de notre interprétation ici, mais, comme nous suggère Freud, « le comportement auquel celui-ci donne lieu du fait qu’il s’appuie sur certaines expériences particulières, sur des représentations et des fins déterminées » (Freud, 1968, 153). Ainsi, nous soutenons qu’en tant que partie du corps social, elle peut, sous un contrôle assumé, intégrer officiellement les propriétés structurelles du système social. Venons-en aux activités sociales des églises.
Les leaders religieux et les demandeurs d’asile ont en effet émaillé leurs discours du rôle des églises dans l’intégration des nouveaux arrivants, laquelle intégration est tantôt régulation administrative et sociale, tantôt socialisation à la québécoise. Cela témoigne le rapport que les églises ont eu aux normes écrites et sociales avec les demandeurs d’asile. Le terme communauté et même religieuse ébranle la plupart des gens pour des raisons idéologiques, mais il demeure en réalité un problème quand la socialisation est prise dans son aspect morphogénétique, c’est-à-dire l’apprentissage du comportement et de l’acculturation. En d’autres termes, quand l’intégration implique que les comportements doivent se conformer aux normes établies (Schnapper, 2007, p.15). Cependant, quand la socialisation est « la somme totale de toutes les expériences sociales qui modifient le développement d’un individu » tout comme affirme-t-on, « qu’on invoque la régulation, l’intégration, le « faire société », le « vivre ensemble », l’interrogation reste la même, elle perte à la fois sur l’intégration des individus à la société et sur l’intégration de la société dans son ensemble » (Wilson, 1975, p. 159, cité dans G. Busino, 1993, p.58; Schnapper, 2007, p.16). Dans cette optique, la socialisation ou l’intégration, qui se fait en partie dans un cadre communautaire, ne devrait pas constituer un problème. D’autant que les églises à part quelques habitudes culinaires qu’elles n’invitent pas aux demandeurs d’asile à changer, elles les informent sur l’ensemble des pratiques sociales québécoises, même le timbre de voix en public. Il s’agit en fait d’une adaptation à la Parsons selon laquelle celle-ci « ne fait pas uniquement référence à l’ajustement passif d’une espèce ou d’un type de système social aux conditions de son environnement, elle doit inclure des facteurs de survivance plus actifs » (Parson, cité dans Giddens, 1989, p. 326). Il semble que les églises s’inscrivent dans ce type d’adaptation et de socialisation, alors que nous parlons de socialisation à la québécoise. Celle-ci ne réduirait pas les églises à apprendre les pratiques sociales québécoises aux demandeurs d’asile. Cette adaptation et socialisation les renvoie plutôt aux affirmations de Parson, qui relie l’ajustement passif et actif des demandeurs d’asile, donc leur culture d’origine est prise en compte dans le processus d’intégration et/ou régulation. Ce que Schnapper appelle « intégration identificatoire » ( p. 111).
Pour finir, nous attirons votre attention sur deux aspects : le service de garde et la collaboration des églises avec les organismes communautaires. Les églises ont contribué à combler un vide dans le système social quand elles ont pris en charge les enfants des demandeurs d’asile en les aidant soit à aller travailler, soit à les faciliter à apprendre un métier à dessein d’intégrer le marché de l’emploi, qui est une composante de l’« intégration structurelle » chez Schnapper. Ce fait semble un détail ou un événement singulier parmi d’autres. Il convient ici de soutenir avec quelques auteurs l’importance du particulier et du souci du détail pour les chercheurs (Becker, 1985, p. 216; Adam, Kilani, Affergan, Qeerz, Laplantine, Laburthe-Tolra, 1990, cité dans Cifali et André, 2007, p.334; Cafali et André, Ibi., p.341; Morisse, 2014, p. 18). C’est en effet dans le détail et le singulier que puisse émerger une dimension ou une interprétation nouvelle. L’appropriation du service de garde des leaders religieux dans ce contexte est une démonstration de la manière dont les églises ont habité l’espace social, et donc constitue une propriété structurelle du système social québécois. D’autre part, la communauté ecclésiastique ne s’est pas substituée aux organismes communautaires, elle a été plutôt son complément en étant présent individuellement pour les personnes ne parlant pas français, notamment, quand elles devaient aller soit à une clinique médicale, soit à un bureau public. Voilà encore un événement inattendu dont les leaders religieux se sont appropriés. Ce n’est pas sans raison que Otero et Roy estiment que « le social reposait sur un ensemble de malentendus qui fonctionnent et qui constitueraient en quelque sorte le liant entre les gens, agents et dirigeants. Chacun disposerait un espace d’action, d’adaptation qui reposerait sur l’hétérogénéité des compréhensions et des appropriations » (Otero et Roy, 2013, p. 10) Donc, parler du rôle des leaders religieux (Églises) dans le processus d’intégration ou de résilience (cf. Jean Baptiste, 2022, www.gitmdev.com) des demandeurs d’asile haïtiens renvoie à l’ensemble des actions dont nous avons fait état ici. Voilà pourquoi qu’il nous semble que la communauté ecclésiastique soit une propriété structurelle du système social du Québec. Si notre proposition est une fiction malgré tout, que seraient les pratiques sociales des églises dans ce contexte migratoire?
Références
Becker, H.S. (1985), Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.
Bouvier, P. (2005), Le lien social, coll. Folio Essais, Paris, Gallimard, France.
Busino, G. (1993), Critiques du savoir sociologique. Paris, Presses Universitaires de
France.
Cifali, M. et André A. (2007), Écrire l’expérience, vers la reconnaissance des pratiques
professionnelles, Paris, Presses Universitaires de France.
Clavel, M. (1996), Sociologie et ethnologie urbaine. Dans S. Ostrowetsky ed. (dir.),
Sociologie en Ville. Paris, L’Harmattan, France.
Durkheim, E. (1960), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses
Universitaires de France.
Freud, J. (1968), Sociologie de Max Weber, coll. « SUP », Paris, Presses Universitaires
de France.
Giddens, A. (1989), La construction de la société. Paris, Presses Universitaires de France.
Jean Baptiste, E., (2022), La résilience ecclésiastique dans le contexte des flux
migratoires des années 2017 et 2018 au Québec, https//www.gitmdev.com
Morisse, M. (2014), Les dimensions réflexive et professionnalisante de l’écriture,
Quelques considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques, (Dir.)
Morisse M. et Lafortune L., (2014), L’écriture réflexive, Objet de recherche et de
professionnalisation, Coll. « Éducation-Recherche », Québec, Presses de l’Université du
Québec, Canada.
Otero, M. et Roy, S. (2013), Introduction, (Dir.) Otero, M. et Roy, S., Qu’est que qu’un
problème social aujourd’hui, Repenser la non-conformité, Québec, Presses de
l’Université du Québec, Canada.
Schnapper, D. (2007), Qu’est-ce que l’intégration? Coll. « Folio Actuel », Paris,
Gallimard, France.
Emerson Jean Baptiste, Ph.D.
Fait le 13 mars 2023 au Québec, Montréal, Canada
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Continuez votre excellent travail !